Voyage intérieur

Voyage en voilier, comment j’ai survécu au mal de mer

Ayant grandi sur un voilier, je pensais avoir le pied marin, et bien c’est lors de mon dernier périple en bateau que j’ai littéralement déchanté. Et je peux vous dire que le mal de mer c’est quelque chose de violent.

L’océan m’a secoué au sens propre comme au figuré, pendant 4 jours je n’ai pas pu manger, bouger, réfléchir… ma seule envie était de rejoindre la terre ferme et que ce cauchemar s’arrête enfin! Et pourtant malgré cela, je reste une amoureuse de la mer et je suis toujours aussi impatiente de repartir, mais alors comment la magie des océans peut elle faire oublier un tel supplice?

J’ai rejoint mon père qui vit sur son voilier depuis plus de 30 ans pour partir en mer à ses cotés, et redécouvrir les joies de la navigation. Mon dernier voyage avec lui remonte à mon enfance. Ce voyage sera une double rencontre avec ce marin solitaire et moi même. Entre le mal de mer et le mal de père.

Nous voilà partis, j’adore la sensation lorsqu’on quitte le port le premier jour, de voir l’horizon en ligne de fond peu à peu s’éloigner de la côte vers l’immensité. Cela procure une forte sensation de liberté. J’ai pour habitude de m’assoir en proue de bateau et d’admirer l’eau s’échapper de chaque coté de la coque sous mes pieds. Quel bonheur, nous voilà bel et bien partis, je suis alors super excitée et je remercie la vie de m’offrir ce spectacle!

Au fur et à mesure que l’on s’éloigne, la mer devient de plus en plus houleuse. Nous nous y jetons à coque perdue. De grosses vagues tirent sur le gouvernail et font fortement balancer le bateau qui glisse sur l’eau à toute allure. Au bout de quelques heures je commence déjà à me sentir un peu mal, ma tête devient douloureuse, mes organes semblent perdre l’équilibre à l’intérieur de mon corps. Je finis par me résigner à aller m’allonger sachant qu’à partir du moment où je vais rentrer dans la cabine il me sera difficile d’en sortir. Le seul moyen de stopper la douleur et de ne pas sentir les heures passer et de dormir…

Un jour s’est passé, j’ai du dormir plus de 20 heures, me lever m’est très difficile, j’ai essayé mais le mouvement continuel et non naturel du bateau fait vaciller mon équilibre intérieur. Une envie d’uriner retenue depuis plus de 8 heures me pousse à m’extirper non sans mal à l’extérieur (Les toilettes étant condamnées durant la navigation).

L’horizon entoure désormais le bateau, plus aucun morceau de terre n ‘apparait. C’est incroyable comme sensation, c’est comme si nous étions les seuls au monde.

On avance vite, le bateau se penche sur le flanc. Le vent est violent et souffle par rafales. Les drisses claquent contre le mat, marquant le rythme d’une mélodie qui s’amplifie. La voile est gonflée et se frotte au ciel dans un bruit sourd. L’eau se heurte à la coque dans des fracas bruyants. S’ajoute à cet orchestre naturel, le sifflement du vent qui vient par intermittence se frotter à mes oreilles et faire frémir mes cheveux qui fouettent mon visage.

A ce stade entre mon mal être et le mouvement de la mer, cette mission anodine prend la proportion d’une grande aventure, et me demande un effort ultime! Je parviens tant bien que mal après m’être attachée pour ne pas tomber, à enfin me libérer de cette corvée, je me précipite alors à l’intérieur pour m’affaler de nouveau de tout mon être dans ma couchette.

Cela fait maintenant 2 jours que je n’ai rien mangé et que je n’ai pratiquement pas bougé de mon lit, rien que de voir mon père s’activer me donne le tournis. Je me demande comment il fait. La mer est toujours aussi mouvementée. toute action devient une mission d’agilité.  s’habiller, cuisiner se brosser les dents… il faut se tenir, ça ne cesse de bouger, c’est invivable.

Je reste alors allongée, je n’ai plus sommeil, je ne peux pas lire alors je pense, je réfléchis, je rêve éveillée. J’ai revisionné le film entier de ma vie passée, imaginé plusieurs futurs pour m’empêcher de subir ce présent qui me fait souffrir.

Ayant fait le tour de ma vie, je commence à vivre cet instant intensément, j’écoute, j’observe… au milieu de ces fracas violents je me sens minuscule, comme une fourmi dans une coquille de noix dans un océan gigantesque. A chaque choc de la coque contre une vague j’ai la sensation que le bateau va se briser en deux. 

Au mal-être se mélange la peur, lorsque mon père s’agite en pleine nuit sur le pont je ne peux m’empêcher de l’imaginer tomber à l’eau… L’angoisse, je me sens incapable de gérer ce genre de situation!
Sans compter que je suis telle une larve léthargique, Je n’y connais rien en navigation, depuis le début j’aimerais apprendre mais mon état ne me le permet pas, entre nous je ne suis pas assez courageuse je crois… de plus ce bateau old-school ne contient aucun équipement moderne! Il faut dire qu’il a 30ans d’age. C’est de la navigation à l’ancienne, où tout doit se faire manuellement, c’est parfois plutôt physique et surtout il faut savoir lire une carte marine et se repérer sans GPS ou quoi que ce soit…

J’admire mon père sachant qu’il navigue depuis ses 20 ans et qu’il a fait plusieurs longues traversées en solitaire sur ce petit voilier de 10 mètres.

Cette mer qui m’envoutait dans mes souvenirs et durant les premières heures de navigation, maintenant m’angoisse et me rend lasse. Je n’en peux plus, je veux que tout s’arrête, je veux rejoindre la terre ferme! 

La mer s’assagit, le vent se calme et le bateau ralentit, je suis toujours vulnérable mais je me sens mieux. Cette nuit mon père me demande de faire le guet de temps en temps pour le seconder car il est très fatigué par les derniers jours de navigation.

Malgré l’effort que cela me demande je monte alors me poster sur le pont, le ciel sombre est rempli d’étoiles, on peut admirer la voix lactée se dessiner tel un chemin féérique, la lune est grosse et lumineuse, et fait briller la cime des vagues. Le navire laisse derrière lui sur son passage une trainée argentée. Le son des vagues est doux et harmonieux et berce cette nuit d’une mélodie envoutante. Le spectacle me réconcilie alors avec cet océan. Puis vient un sentiment de peur, celui de me sentir seule au milieu de cette immensité d’un noir infini, de ne pouvoir deviner ce qui se profile à l’horizon. Mon tour de garde se termine, il est temps de rentrer me recoucher à l’intérieur en continuant d’admirer le ciel par le hublot.

La navigation m’a donné bien des leçons, celle-ci m’a offert une démonstration de sa force et de son indomptabilité, puis elle s’est calmée pour laisser apparaître un horizon à perte de vue. On se sent alors comme dans une bulle, seuls au monde et minuscule, c’est à la fois grandiose et angoissant.

Puis lorsqu’enfin se dessine la ligne de côte au loin, telle une récompense qui s’est fait désirer comme une terre promise, la magie opère et toute la traversée prend alors son sens, là, à cette instant précis; on oublie alors tout le reste, voilà pourquoi malgré le mal de mer, on garde en soi le désir de repartir!

Free & love

Si ce sujet vous a plu et que vous voulez voir plus de photos et en savoir d’avantage sur cette aventure, la série entière est exposée du 13 au 19 avril 2018 à Lyon et du 5 mai au 21 mai 2018 à Sète. Je vous invite à y faire un tour, je me ferai un plaisir de vous accueillir en personne lors de mes permanences pour vous en dire plus, et aussi connaître votre avis sur ce travail photographique.

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4 comments

  1. L'article est bien écrit, je le vis. Il est émouvant et éprouvant comme à du l'être ta traversé, me voilà curieuse moi qui ai le mal de mer comme toi. Curieuse de tes photos, curieuse de ton expérience.

  2. Merci Marelune, je partagerai cette série photo sous forme de carnet d'aventure sur le blog après l'exposition de Sète 😉 tu verra alors ces fameuses photos et tu en apprendra plus sur cette rencontre et cette aventure promis 🙂 à bientot!

  3. Ca doit être effectivement très particulier à vivre… en tous cas ton article est vraiment bien écrit… on s'y croirait. (le mal de mer en moins, ouf).

  4. […] un espace restreint n’est effectivement pas toujours simple. Cela me rappelle quelque peu mon voyage en mer seule avec mon père, où je me suis découverte à travers l’image qu’il me renvoyait comme […]

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